Encouragement

Essai de Provence X

エッセー プロバンスより 拾

Encouragement

Ce texte sera publié en janvier 2023 au Japon. Il fait suite à une remise du prix de l’Essai Critique, en notre faveur, par le comité éditorial de la revue 潮流詩派 Choryu-Shiha. Le décalage chronologique est ainsi inversé, cette fois-ci. Nos lecteurs francophones peuvent lire une traduction française, avant la publication du texte hors ligne. Il s’agit du numéro 272, qui correspond à notre 10e contribution à cette revue japonaise.

Cette anticipation nous rappelle que les interrogations soulevées dans le texte suivant, se posent également auprès de nos lecteurs et lectrices francophones.

これは日本で2023年1月に出版される。詩誌『潮流詩派』の潮流詩派賞選考委員会から「評論・エッセイ部門最優秀賞」をいただいたことを受け書いた文だ。今回だけタイムラインの隔たりは逆。つまりフランス語話者は、フランス語のテクストを、日本語テクストのオフライン出版より先に読める。潮流詩派の272号。私たちが寄稿するエッセイはちょうど10本目になる。

この「先どり」で思い出した。次の文で投げかける問いは、フランス語話者に関わることである。

木岡さい
KiokaCy


Une reconnaissance de votre part [1]

Plus précisément, nous vous remercions d’avoir accueilli nos images photographiques au sein de votre revue de poésie, qui n’en contient pas. Est-ce la première fois qu’une telle exception est faite ? Ou est-ce le temps dans lequel nous vivons, qui l’encourage ? Nous sommes désormais tous soumis à un déferlement d’images numériques, arbitraires ou promotionnelles. Une demande l’absence d’images nous paraît aujourd’hui tout à fait justifiée, même si nous ne la suivons pas. Dans nos Essais de Provence, deux textes sont sans aucune image. Notre sixième texte (numéro 267) marquait un découragement, un moment dubitatif durant lequel nous interrogions une image absente, celle de nos lecteurs ou lectrices. Où étaient-ils ? Comment les imaginer ? Que pouvaient-ils faire de nos textes ? Il était temps de revenir sur ce que nous avions adressé.

En voici un extrait :

Ces essais de Provence proviennent d’affections provoquées par certains (mi)lieux, dans lesquels nous avons vécus. Des phénomènes alors rencontrés. On peut parler d’appropriation de ces moments, en évitant le journal ou la chronique. Car personne n’était au centre. L’individu n’est ni une fin, ni un moyen, c’est un concept métaphysique abstrait donc culturel aussi. L’Homme s’écrit deux pattes quelque part 人間. Il respire et s’approprie, nous rappellent les ressources sino-japonaises et nous l’entendons ainsi. Nous demeurons étrangers à bon nombre de traditions et de mentalités occidentales. Ce qui permet de les étudier, de les apprécier de fait avec la distance critique que requiert une traduction vivante : un corps pour les sensations, un milieu pour la vitalité.

En reprenant à notre compte, cette ressource philosophique de Watsuji, nous évitons de nous appesantir sur notre sort, tout en reconnaissant la nécessité de rencontres réelles autour de la littérature. Le texte suivant en témoigne.


Moi, aussi

L’écriture littéraire est presque automatiquement associée à la solitude de sa pratique. On peut aller jusqu’à en faire une condition de l’écriture. Dans ce sens, ou selon ce préjugé, nous n’avons aucune ambition littéraire. Nous nous sommes entendus sur une écriture à deux corps, deux pôles pourrait-on dire. Une association libre qui ne se limite pas à un foyer ou une famille. Une double exigence se mettait alors en place, au vu de nos conditions sociales respectives : Celle de la traduction, et celle de la pensée critique. Puisque nous étions étrangers l’un envers l’autre, cette réciprocité mutuelle nous préservait des politiques d’identités. Ces idéologies identitaires, foisonnantes par les temps qui courent, procèdent toujours par un dédoublement structural binaire. Il nous faut trouver des moyens de contourner ces dualités d’opposition étranger/natif, culture/nature, également raison/sensibilité. Cela rejoint la question de la communauté. C’est là tout l’en(jeu) théorique de ces Essais.

Depuis toujours rien n’est écrit qui ne saurait s’ouvrir à une critique vivace. Nos essais devront à leur tour dépasser leurs premiers pas, c’est ainsi que nous recevons ce prix comme un encouragement. Nous laissons nos derniers mots à l’écrivain Nathalie Quintane, extrait de son ouvrage intitulé Tomates [2] :

Moi aussi, je voulais être du côté de ceux qui s’organisent. Plutôt de ce côté-là que de l’autre. Celui des patates. Parce que je venais des patates. Je venais superlativement des patates. Des générations d’ouvriers agricoles me précédaient, qui avaient dû passer une partie de leur vie à les planter, les patates. Au tournant XIXe-XXe, ils étaient passés à l’usine, toujours en cultivant leurs patates parallèlement, pour pouvoir bouffer ; mais ça n’avait pas duré longtemps, les usines avaient fermé, les jeunes étaient devenus employés dans les banlieues, rêvant aux patates, au moment où ils pourraient enfin reprendre leur culture. Toute mon enfance, et toute ma jeunesse, j’avais habité Pierrefitte, qu’on appelait Pommes de terre frites ; alors j’en connaissais un bout, sur les patates. Logiquement, ce qui me touchait le plus, chez Artaud, c’était quand les autres, ceux qui s’organisent, étaient venus le visiter, à l’asile, en pleine guerre, et qu’il leur avait hurlé pour toute réponse qu’il voulait des patates. Des patates. Car il crevait de faim. Mais quand on a vécu si longtemps parmi les patates, patate soi-même et qu’on s’est toujours sentie comme un sac, un jour évidemment on quitte Pommes de terre frites. On écrit des livres. On écrit ce livre, qui est un anti-patate. Pourquoi pas plutôt un livre patate, un style patate, me suggère-t-on. Vous pensez peut-être qu’un livre patate, ça serait plus naturel, chez moi ? (le prochain qui me sort ça, je crois que je lui en colle une). J’écris des livres anti-patates : la patate y est contenue.


Le bref montage audio-visuel ci-dessous, servit à présenter Nathalie Quintane, jeudi 10 novembre 2022, à la librairie Passage All by Reviews Bibliothèque de Goult in Tokyo

Une écoute précise remarque la disparition d’une phrase. Laquelle ?


Notes :

[1texte en deux parties, écrit et prononcé en deux langues, pour la remise de prix de l’Essai critique, le 5 novembre 2022 à Tokyo, en présence du comité éditorial de la revue et de nos camarades poètes et poétesses y contribuant.

[2Extrait (non traduit en japonais) Nathalie Quintane, Tomates, Editions P.O.L, 2010