Nous n’avons d’autre avenir que le présent qui se crée. Ou nous entrerons dans une ère d’authentiques créateurs, ou nous nous déliterons dans la léthargie d’une époque qu’illustrent sinistrement la décroissance de l’intelligence et la croissance accélérée de l’inhumanité.
La servitude volontaire est moins l’effet d’un désarroi existentiel du sens humain que de la fermeté d’un cadre fixe qui de génération en génération perpétue l’exploitation de l’homme par l’homme et laisse à la technologie le soin de remettre à neuf sa vieille société de maîtres et d’esclaves.
Qui souhaitait hier faire connaître ses idées en les publiant était évidemment mis en demeure de passer par les lois du marché éditorial, mais le principe du libre échange garantissait, si formellement que ce fût, une circulation de l’ouvrage imprimé.
Il n’y a pas si longtemps, mon ami Pierre Drachline, directeur littéraire au Cherche-Midi Éditeur me confiait : si tu proposais aujourd’hui le Traité de savoir vivre, aucune maison d’édition n’en voudrait ! Les conditions ont empiré. Un totalitarisme démocratique exprime concrètement et sans scrupule le caractère impérialiste de ce libre échange qui n’a triomphé du monolithisme de l’Ancien régime agraire que pour imposer à son tour un Pouvoir aussi absolu qu’ubuesque.
C’est désormais au nom de la liberté d’expression que sévit une engeance de milliardaires qui tente de supplanter, par une intelligence du tiroir-caisse, l’intelligence sensible à laquelle les individus en quête d’autonomie s’éveillent. Car partout résonne et émerge d’une confusion, de plus en plus éreintée, l’appel d’une attraction passionnelle du vivant, sans cesse renaissante.
Le « libre » choix qui nous est laissé se situe entre le réseau électronique susceptible d’être effacé à chaque instant et l’édition manipulée par des boutiquiers aussi vils que cupides.
C’est ici que je veux rompre, avec un système économique et social dont la barbarie et son hypocrisie humanitaire me répugnent.
J’ai résumé dans Acratie et autogestion [1] un projet qui me tient à cœur depuis mon adolescence. Dans la foulée, je me bornerai ici à suggérer la formation de collectifs regroupant créateurs et éditeurs-diffuseurs, les premiers s’abstenant de percevoir des droits personnels afin de permettre aux seconds d’assurer l’impression et la propagation de brochures, de libelles, d’affiches, de placards.
Une autodéfense des créateurs et des éditeurs-diffuseurs indépendants serait de nature à renouer avec la tradition subversive d’un passé où la catharsis des manifestions de masse n’excluait pas une réflexion capable d’aiguiser la radicalité des individus autonomes et d’empêcher les foules de succomber à l’esprit grégaire, qui les abêtit.
Il est temps de mettre tout en œuvre pour en finir avec un monde où l’argent pourrit ce qu’il touche.
Ce qui ne se règle pas à la base se règle par le haut, qui la piétine.
4 août 2024