Épisode 3

La blonde et la brune

septembre 2024

De l’enfance et de l’adolescence de Patricia Campbell Hearst, nous savons très peu de choses. Les quelques photos connues de l’héritière qui témoignent de sa vie d’avant son kidnapping montrent seulement l’idéaltype de la jeune fille américaine blonde, blanche et souriante. Certes parmi les plus fortunées de toutes, mais d’apparence très « middle class ».

Socquettes blanches et jupe plissée :
Patricia Campbell Hearst en cheerleader

Ce faisant, ces lumineux clichés en noir et blanc ne nous montrent pas grand-chose. Patty Hearst elle-même a tracé autour de cette période de sa vie — dans son autobiographie, dans la presse, dans l’entreprise publicitaire autour de son personnage — un cercle vertueux qui aura permis au public américain de ne voir en elle qu’une victime innocente de la violence de l’ALS, et de ne saisir son épisode d’engagement dans l’action révolutionnaire armée que sous la modalité de la parenthèse. Le raccourci est saisissant : entre les coupures de presse qui médiatisent son enlèvement et celles qui le font pour sa sortie de prison et le fameux teeshirt « Pardon me » qu’elle dévoile ostensiblement, c’est au fond la même mise en scène, celle d’une jeune femme au bras du même « fiancé » (qu’il s’agisse du premier moustachu, « John Weed », ou du second, « Bernard Shaw »), sans lequel elle ne saurait être que fragile.

Abondamment collectées par la presse à sensation et reproduites par tous les tabloïds, les portraits où la jeune femme figure seule accréditent et confortent cette aura de fraicheur et d’innocence, que Patricia nous y soit présentée les yeux baissés peut-être sur un livre ou bien seulement sur ses rêveries « cosy » de jeune fille de bonne famille, ou bien en pied, lors d’un voyage en Grèce qui précéda son enlèvement.

Ce sont des photographies de deuil. Elles commémorent post mortem une jeunesse heureuse et sans histoires, à laquelle il aura été facile pour tout américain de s’identifier, et qui aura été odieusement confisquée par une petite horde de gauchistes sectaires braqueurs de banque et assassins. D’autres images, pourtant, avaient été durant plusieurs mois, ceux de l’activité terroriste de Patty Hearst puis de sa cavale, données en pâture à l’opinion publique. Ainsi de cette galerie de portraits, troublante de montrer de façon aussi crue la série des visages d’une criminelle que l’on peine à rapporter à celui, iconique, de la sage étudiante en Histoire de l’art de Berkeley.

Qui est Patricia Hearst ? Qui aura-t-elle été ? Et voulu être ? Ces questions sans doute font elle-même corps avec le mystère de l’affaire Hearst, dont les zones d’ombre sont loin d’être levées. On vacille à la pensée que la vérité de Patty Hearst ne se trouve pas plus dans les fichiers anthropométriques du FBI que dans les images lénifiantes qui, depuis les années soixante-dix, n’ont de cesse de vouloir récuser ceux-ci. Et sans doute est-il tout aussi impossible, pour nous qui n’avons pas vécu cette époque, de ne pas choisir son camp interprétatif comme furent sommés de le faire les américains des Seventies. Il est d’autant plus troublant qu’il doive en être ainsi que c’est même alternativement, voire dans le même instant ou du même coup, que nous sommes renvoyés d’un côté ou de l’autre du soupçon, comme si Patty, comme icone de la « Pop culture », nous manipulait encore, et nous perdait entre « Patricia » et « Tania » — son nom de guerre pour l’ALS.

Ce sont déjà, au fond, des bancs d’image d’on ne sait quel film hollywoodien en noir et blanc avant le montage, des bouts d’essai dans l’attente de l’animation du premier rôle, une fois que le réalisateur a crié « Action » dans son portevoix et que chacun se tait sur le plateau, ce dont le génial John Waters aura le pressentiment et qu’il saura réaliser en acte en mettant en scène Patricia Hearst.

Et nous avons beau chercher ce qui peut bien se tapir derrière le regard de Patty, le nôtre ne parvient pas à crever cette peau des apparences sur papier glacé, en même temps qu’il ne se lasse pas de désirer le faire et de sans cesse se relancer de ce désir sans fin. La blonde, la brune ; la douce, la dure ; l’adolescente, l’adulte ; l’otage, la terroriste : notre jugement oscille à chaque fois entre ces deux options à la « Dr Jekyll & Mr Hyde », et ne parvient pas à franchir le sentiment d’ambivalence où nous place la contemplation du visage de celle qui, dans ce vertige voyeuriste auquel elle nous condamne, l’instaure comme l’effet que produit sur nous la star qu’elle est déjà. Elle aura, au centuple, été une telle star bien plus et avec un tout autre efficace qu’au long de sa carrière cinématographique. En cherchant bien dans Google-Images, on pourra même dénicher des portraits où Patty se montre et se cache depuis cette duplicité, et dont la charge érotique est alors à son comble.

Jérôme Delclos
Suite au prochain épisode…

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