Si Gabriel Attal a été nommé ministre de l’Éducation Nationale, ce n’est évidemment pas parce qu’il aurait quelque compétence que ce soit en la matière, mais seulement parce que chacune de ses paroles n’est que porte-parolat et psittacisme des vanités macroniques. Formé à la novlangue politicienne, écran publicitaire de son maître, il emprunte à la pub ses « éléments de langage » et de déraisonnement… À peine arrivé, il s’en prend aux musulmans, juste parce que son maître a besoin de la confrontation avec l’extrême droite dont il tente en même temps de rapatrier l’argumentaire. Quami, abaya, toute la France découvre l’invasion en cours, « le grand remplacement » vestimentaire qui menace les tailleurs bleu-marine de l’épouse présidentielle. On ne le savait pas mais tout port de robe noire et longue d’où dépassent seulement la tête, les mains et des pieds chaussés, relève du prosélytisme religieux. On le sait, Abayattal en a fait le buzz de la rentrée scolaire… En même temps, Abayattal, il aime qu’on parle de lui.
Bon, mais le problème du spot publicitaire étant que c’est éphémère, il fallait absolument trouver autre chose, d’en même temps très disciplinaire. Pas de problème : inutile de connaître quoi que ce soit à l’enseignement, il existe des sujets éternels de la France éternelle … Et voilà Abayattal qui prend sa plume et adresse le 16 septembre 2023, au journal macroniste Le Monde, un texte de fond en comble, « Je crois aux forces de l’écrit ».
Au cœur du fond, en haut des combles, l’éternel problème de l’orthographe… Ah ! l’orthographe ! Ça plaît l’orthographe… vous savez le niveau qui baisse… Déjà en 1877, l’enquête de l’inspecteur Beuvain d’Altenheim en faisait le constat… Bon, direz-vous, Abayattal ne le sait pas, car il ne connaît pas l’histoire de l’enseignement du français et, pas plus que l’épouse de son maître, l’uniformiste Brigitte, celle de l’école publique, alors… Peu importe, dans l’univers merveilleux de la Macronie, un coup de com’ ça vous gomme des décennies de désastreuse politique éducative et ça vous décharge de quelque savoir que ce soit. Et puis, c’est pas vraiment la question, car, pour Abayattal, il faut s’inscrire dans la juste, dans l’illustre filiation, celle de l’islamo-gauchisme blanquérien et celle de la dictée de Belkhacem… Et oui, l’abaya pour l’un, la dictée pour l’autre. Et pour cette dernière filiation, on sait que ça marche à tous les coups. En effet, l’enseignement du français, c’est la grande continuité et la grande continuité, en même temps, ça facilite la com’ et ses communicants. Une tradition, ça se perpétue. Or, c’est une tradition, au ministère de la répétition, de découvrir, après chaque rite successoral, le désastre orthographique… et ça dure depuis avant Jules Ferry, c’est dire si c’est une tradition ancrée dans le terroir patriotique !
Donc Abayattal, à peine arrivé, découvre le désastre non sans dire expliquer que « l’investissement qui a été consenti ces six dernières années [oui, parce que l’histoire de l’enseignement du français débute avec lui-même arrivé au pouvoir dans les valises du maître qui l’en a sorti tout uniformisé en porte-parole] n’a connu aucun précédent » : bon d’accord, c’est une formule stéréotypée que chaque ministre emploie pour dire que sa boutique politique a tout mieux fait que les autres… Vous voyez une contradiction entre le constat de « la baisse du niveau » [encore un stéréotype déconstruit depuis belle lurette par les études en histoire de l’éducation, en sociologie et en didactique] et l’affirmation de « l’investissement sans précédent » ? Vous êtes trop sensible, Abayattal ne s’encombre pas de raisonner. Non, non, Abayattal ne raisonne pas, il cause. D’ailleurs quand il se met à vouloir raisonner, ça donne ceci : « L’écrit c’est ce qui situe [comme si la parole n’était pas située], et ce qui reste [Abayattal quand il raisonne répète ici le lieu commun, des paroles qui s’envolent et de l’écrit qui reste]. C’est ce qui rend possible à la fois le raisonnement cartésien et l’imaginaire fécond de chacun [là c’est très intellectualisé : Descartes, chapeau bas, l’origine de la philosophie de la start-up nation, un peu dépassé, mais c’est pas grave ; le raisonnement qui n’existerait donc que dans les civilisations de l’écrit, tant pis pour les raisonnements enfantins qui se forgent au cours du développement ; quant à l’écrit comme seule source de l’imaginaire… bon il ne vaut mieux pas commenter] ».
Notez bien, que sans pouvoir raisonner sur l’enseignement ni sur l’éducation Abayattal a de la suite dans ses idées fixes, un peu comme une tête de lecture sursautant sur place sur un disque rayé. En effet, Descartes – le procédé est fallacieux, mais en même temps… – sert à glisser ce syntagme : « France, pays des plus merveilleux auteurs et des plus grands talents ». Cocorico Abayattal quand il raisonne, il fait des classements et il faut toujours qu’il soit en haut du podium, lui ou ce dont il s’empare, ici la France. Et puis un désuet national-patriotisme de la part de cet ancien socialiste, ça permet de rassembler la fibre nationale autour du costume bleu marine de l’ordre macronique.
Donc, reprenons, malgré l’excellence de la politique éducative, malgré la triomphale littérature nationale, « un élève sur trois ne sait pas lire ou écrire convenablement à son entrée en sixième. Une baisse de niveau qu’il faut nommer [si, si, il est courageux Abayattal] sans fard et sans détour [encore un lieu commun] : une urgence républicaine ». Ah oui, la langue de la République est en danger ! Encore un poncif investi par le ministre. Mais qu’à cela ne tienne, quand Abayattal est là, y a qu’à bien se tenir et on va vous réparer les cancres en langue en moins de deux. La Solution ? La dictée ! « La dictée est un exercice indispensable, qui doit être utilisé autant que nécessaire, et ce, dès la primaire »… La dictée jusqu’à plus faim… vous en reprendrez bien une louche ? Et qu’elle soit en place depuis le fin fond de l’école républicaine, avec les résultats que l’on sait et qui font prendre sa plume au ministre, ne change rien à l’affaire. On ne change pas ce qui ne sert à rien. La dictée, on n’y touche pas ! C’est un monument national, c’est le patrimoine républicain, avec tout ce qui va avec. Abayattal ne l’oublie pas, lui le fidèle, le psittaciste, l’ignorantin qui sait tout, il assume (c’est son propre mot) « l’impératif absolu de l’apprentissage des règles, de la grammaire et de l’orthographe ». Ouf ! On est sauvé, ça fait plus de cent quarante ans que le pouvoir bourgeois assume « sans fard et sans détour » ce comportement « exigeant » et administre ces mêmes remèdes. Sacré Abayattal ! Oh, il concède que « l’écrit (…) se nourrit d’une ambition [comme un homme politique, chassez la subjectivité, elle revient au galop] (…) celle de développer et de restituer une pensée », mais c’est pour prescrire une autre posologie :
- au cours élémentaire « chaque jour » deux élèves seraient « chargés après l’école d’écrire un très court texte racontant une histoire et de la lire le lendemain matin ». Le ministre l’assure, avec cette méthode « nous [tiens ! C’est qui ce nous ? La France ? La communauté éducative ? Mais un nous ça ne se décrète pas !] ferions des pas de géant »… On est confondu devant l’ineptie du propos, sauf à comprendre que tout ce qui compte pour Abayattal, c’est de causer et de se pavaner, pour qu’on parle de lui…
- « en CM2, chaque semaine » production par les élèves « au moins d’un texte libre » [pourquoi « au moins » ? Abayattal ne se rend pas compte qu’un texte libre se définit normalement par le fait qu’il est librement écrit et non injonctivement produit ! Mais peut-être que le ministre n’a fait que répéter un groupe nominal entendu sans en connaître la source pédagogique, car visiblement, la pédagogie est inconnue à Abayattaland].
- l’introduction « à l’entrée en sixième », de la rédaction dans les évaluations nationales. Évaluer, c’est le maître mot [1]
- « création d’un double grand concours national d’écriture au sein de l’éducation nationale », « en fin de primaire » et « en fin de collège » : parce que c’est bien connu, la compétition est l’alliée naturelle de l’apprentissage… et au diable les études consacrées à la psychogenèse et à la sociogenèse des connaissances.
Ce dernier remède de l’ordonnance ministérielle, s’appuie sur l’introduction du « monde de l’art » dans les établissements scolaires via des ateliers d’écriture menés par des écrivains et écrivaines. Abayattal montre par-là que les enseignants et enseignantes ne sauraient pas travailler sur la création et devraient donc la sous-traiter aux professionnels et professionnelles de l’écriture. La division du travail dès l’école, inscrite au cœur de l’enseignement du français est encore une vieille lune du pouvoir bourgeois. Ce qu’ajoute Abayattal, c’est d’associer les « passerelles avec le monde de l’art » et « un véritable service public de la culture à l’école » avec la compétition et la concurrence !
Abayattal au pays de l’orthographe, c’est le énième ministre qui reprend, ici contextuellement teinté de xénophobie, le culte patriotique de langue nationale, qui cause en toute méconnaissance de la pratique pédagogique, qui ignore la réalité des processus d’apprentissage linguistique des élèves, qui prescrit des inepties (il est inepte de parler d’imposer un texte libre ou de demander des textes libres sur « une thématique donnée »), qui écrit des contrevérités et se contredit sans même s’en apercevoir. En revanche le message est limpide : dictée, tradition, évaluation, concurrence. Abayattal réaffirme le système scolaire dans sa fonction de tri social et de perpétuation des inégalités, le culte du concours y est profession de foi. Ce qui est visé, ce ne sont pas les élèves, mais comme l’écrit Abayatal, une abstraction qui les englobe : « l’avenir de nos enfants » « et donc de notre nation » – pourquoi « nos » et « notre », Abayattal transfère le peuple français sur sa personne… trop modeste mais en même temps macronique et propre à la rhétorique des personnalités autoritaires.
Notes