Sommaire complet des contributions
Petit historique des positions progressistes des linguistes en matière d’enseignement du français sous forme de mini-anthologie
En un premier volet, il sera proposé une petite anthologie historique des positions progressistes des linguistes en matière d’enseignement du français. Cet historique se concentre sur les années 1881-1922, en ce qu’elles concentrent la critique la plus radicale de l’enseignement du français par l’école de la République instituée par les lois de Jules Ferry de 1881 et 1882.
• 1881 Création d’un Certificat d’aptitude au professorat des classes élémentaires, avec pour seule et unique épreuve écrite de français, la dictée suivie de questions.
• 1882 Un arrêté du 27 juillet crée l’enseignement de « la langue française » en lieu et place de l’enseignement des « éléments de la langue française » (formule de la loi Guizot de 1833 reprise du rapport Talleyrand de 1791) [1]
• 1886 Paul Passy (1859-1939), le fondateur de l’alphabet phonétique international (dans un ouvrage de 1896), publie son premier ouvrage Le Français parlé. Il y développe la thèse que la forme écrite et la forme orale du français ont divergées et que l’orthographe aggrave les difficultés.
• 1887 le même Paul Passy propose une réforme de l’orthographe dont il donne l’exemple en publiant : Les Sons du français, leur formacion, leur combinaizon.
• 1890. Irénée Carré propose de supprimer la dictée au certificat d’étude et d’évaluer l’orthographe dans les compositions françaises. C’est un tollé et on souligne que s’il y a quelque chose à supprimer, c’est la composition française mais certainement pas la dictée.
Dans la Revue de philologie française, Léon Clédat se prononce pour un rapprochement de la graphie et de la prononciation, remplacer le x valant s par s, aménager les verbes en -oir et -re par substitution de t à d, suppression des consonnes doubles dans tous les verbes en -eler et -eter, suppression de l’accord du participe passé quand il est suivi d’un infinitif…
• 1896, Dans sa Grammaire raisonnée de la langue française, préface de Gaston Paris, 5e édition, Librairie H. Le Sourdier, Léon Clédat s’insurge contre le contenu des grammaires scolaires : « Nos grammaires sont dans leur plus grande partie un recueil de dogmes incompréhensibles auxquels il faut aveuglément se soumettre, de recettes mécaniques qu’il faut apprendre par cœur, de distinctions purement graphiques, d’exceptions d’aussi peu motivées que les règles. C’est à ingérer ce fatras, plus embrouillé cent fois et plus nuisible à la formation d’un droit entendement que toutes les gloses juridiques du moyen âge, que se passent les plus longues heures d’études de nos garçons, et surtout, hélas ! de nos filles […]. Enseigner et apprendre l’orthographe, c’est ce qu’on appelle enseigner et apprendre le français. »
Vers la même époque, Charles Marty-Laveaux (1823-1899) dans ses Études de langue française (XVIe – XVIIe siècles) écrit : « Au milieu de ce renouvellement des études [il parle notamment des programmes des sciences naturelles et de leurs méthodes d’apprentissage à l’école] une seule, la plus indispensable de toutes, hérissée de difficultés rebutantes, obscurcie par un amas de règles contradictoires est restée stationnaire : celle de la langue nationale » (p. 7 de la réimpression en fac simile de l’édition de 1901, chez Slaktine, 1968).
31 juillet 1900, sous la pression, le Ministre de l’Instruction publique prescrit, par arrêté, aux examinateurs la tolérance sur des points de syntaxe litigieux (ceci concerne, donc, l’orthographe grammaticale). En réponse, l’institution scolaire évitera soigneusement de proposer des textes où il faudrait tenir compte des prescriptions du Ministre…
• 1901, des linguistes soutiennent la nécessité d’une réforme de l’orthographe du français.
• 1905, Ferdinand Brunot, qui vient de commencer à faire paraître la somme inégalée, Histoire de la langue française (1905-1953), publie La Réforme de l’orthographe ; lettre ouverte à M. le Ministre de l’instruction publique, Armand Colin. On y lit :
« Une matière essentielle de l’enseignement y était l’orthographe. Cette religion nouvelle eut donc, comme l’autre, aux frais de l’Etat, un agent dans chaque village chargé d’enseigner le catéchisme du nouveau dogme, de l’imposer par la férule, les récompenses et les punitions. Sous cette pression formidable (…) le public se façonna à l’obéissance » (p.34). L’enjeu de cette tyrannie, pour le pouvoir, était « l’uniformisation orthographique ». « L’enseignement orthographique contribue à surcharger les programmes déjà trop lourds (…). L’orthographe est le fléau de l’École. (…) Et cet enseignement a d’autres défauts que d’être encombrant. Comme tout y est illogique, contradictoire, que, à peu près seule, la mémoire visuelle s’y exerce, il oblitère la faculté de raisonnement, pour tout dire, il abêtit » (p. 4-5 et 7).
Pour Brunot, l’enseignement du français souffre du préjugé orthographique :
« Absorbé dans la seule préoccupation d’enseigner à écrire correctement, le maître laisse trop souvent de côté ce qui serait le plus utile objet de l’institution grammaticale : apprendre à bien parler, c’est-à-dire à prononcer justement (…), à se servir avec exactitude des mots, à faire connaissance avec ceux qui sont rares ou savants, à construire des phrases, à éviter les barbarismes et solécismes en usage dans chaque province » (p.6), ce qui suppose de les reconnaître comme tels, de les analyser.
• 1908/1909, à la Faculté des Lettres de Paris, Ferdinand Brunot assure un cours de méthodologie consacré à la « crise du français » et propose d’y remédier par une refonte de l’enseignement grammatical et une réforme profonde de l’orthographe. La religion française de l’orthographe remonte à l’université impériale.
• 1909 : Brunot et Maquet publient, dans Le Volume du 13 mars 1909, « Rapport sur la simplification et l’unification des nomenclatures grammaticales »
1919, le même Brunot, publie L’Enseignement de la langue française : ce qu’il est, ce qu’il devrait être dans l’enseignement primaire, Armand Colin. Il s’y prononce en faveur d’une pédagogie active de la langue grâce à une méthode inductive :
« L’enseignement de la Grammaire est peu en faveur à l’heure actuelle (…) [les] élèves n’y prennent aucun intérêt. Sans doute les enfants étudient et récitent leurs leçons, mais machinalement : ces règles abstraites, encombrées d’exceptions et des sous-exceptions, ne pénètrent pas réellement leurs esprits (…) On ne constate guère que cette étude, qui leur coûte tant de peine, ait une influence profonde, soit sur leur langage, soit sur leurs rédactions » (pp. 1-2)
« Ce que beaucoup demandent c’est si l’enseignement de la grammaire, tel qu’il est, mène au but que l’on se propose, et je crois qu’ils ont tout à fait raison de s’interroger et de douter, car, s’il y a une « crise du français », ce n’est pas qu’on enseigne trop peu la grammaire, c’est qu’on l’enseigne mal. Abstractions incompréhensibles, définitions prétentieuses et néanmoins le plus souvent vides, règles fausses, énumérations indigestes, il n’y a qu’à feuilleter quelques pages d’un manuel pour trouver des spécimens variés de ces fautes contre la raison, la vérité et la pédagogie. Rien n’est plus contraire, en effet, aux principes élémentaires de la science de l’éducation que cet appel à la mémoire rendu nécessaire par l’étude des formes mises bout à bout » (p.3). « On ne cherche pas à comprendre, on étiquette » (p.6). « Une immense pitié vous saisit en pensant aux centaines de mille enfants obligés de subir un enseignement fait de pareilles aberrations. (…) Et l’on constate, en effet, même chez des maîtres peu avertis, une défiance et une hésitation croissantes. Beaucoup commencent à s’apercevoir qu’ils perdent un temps précieux à enseigner des subtilités ou de pures visions, et que toute cette logomachie déforme l’esprit, loin de le cultiver » (p. 12).
Il déclare alors que « La langue n’est pas une création voulue et réfléchie : la Grammaire n’est pas une forme de la Logique, c’est une science d’observation, qui doit être faite d’inductions et non de déductions » (p.53). Brunot propose donc une méthode inductive, qu’il développe au chapitre 13 du livre : « Cette collaboration de l’enfant éveille en lui l’esprit d’observation, l’habitue à rapprocher les faits les uns des autres, à démêler des raisons là où auparavant il n’avait qu’à obéir et à croire. C’est tout profit pour le jugement (…) Moins les mots et les formes du langage seront séparées des choses, plus le style se ressentira des efforts faits par l’école pour former la jeunesse à l’observation, à la réflexion, au raisonnement. Langage, esprit, conscience, gagneront à la fois en clarté, en justesse, en sincérité » (p. 135 et 189).
Pour Ferdinand Brunot, « Il est évident que non seulement l’acquisition de la langue est un des modes de formation de l’esprit, mais qu’elle en est la condition nécessaire (…) Apprendre la langue, c’est se mettre en état, d’une part, de tout lire, de tout entendre sans que rien vous échappe de la pensée d’autrui, et, d’autre part, de tout exprimer, soit en parlant, soit en écrivant, sans que rien de votre propre pensée échappe à autrui » (p. 55).
Cela suppose donc de ne pas fonder l’enseignement sur des éléments isolés : « Je le répète encore, tout enseignement de la langue doit se faire sur un texte partout et toujours. Mais une chose est de prendre un texte spécial pour thème d’une leçon de grammaire, autre chose d’adapter à une leçon de grammaire un texte choisi » (p.69). « L’école aura bien rempli sa tâche, si elle inspire aux élèves le désir et si elle leur fournit le moyen de lire et d’apprendre encore, si elle leur donne l’habitude de se rendre compte par eux-mêmes, de chercher à comprendre et à goûter » (p. 56)
On le lit dans le texte, Brunot n’était pas contre un enseignement grammatical mais pour un enseignement grammatical qui fasse appel à l’observation par l’élève dans une démarche de pédagogie active et selon une méthode inductive : « Je crois qu’on pourrait sans inconvénients sérieux, réduire beaucoup le programme de cet enseignement [grammatical]. Il dépasse considérablement ce qu’il est nécessaire à un homme du peuple de savoir pour s’exprimer et comprendre le mécanisme de la langue. C’est la tradition et la tradition des examens qui force à enseigner bien des choses dont l’utilité est plus que problématique » (p. 100).
• 1921-1922 : Brunot et Bony publient Méthode de langue française.
• 1922 : Ferdinand Brunot, La Pensée et la langue. Méthode, principes et plan d’une théorie nouvelle du langage appliquée au français, Masson. Cet ouvrage théorique débute par une introduction consacrée à la question de l’enseignement et de l’orthographe. C’est dire si F. Brunot concevait la linguistique comme une science devant être soucieuse de ses applications.
Sommaire complet des contributions :
[premier volet]
[deuxième volet]
- - Maîtrise du français et crise de l’enseignement du français
• De la permanence d’une illusion : la Grammaire à l’école
• Critique de l’approche communicative
• Conclusions - - Cinq compléments en citations :
• Les difficultés dans le supérieur
• Participe passé, ce qui participe du passé
• En bref
• Définition de la grammaire scolaire
• Quatre illustrations complémentaires
[troisième volet]
[quatrième volet]
Notes