Sommaire complet des contributions
Maîtrise du français et crise de l’enseignement du français
Quand on parle de crise du français, on parle, en sous-jacence de crise de l’enseignement du français langue maternelle. On appelle maîtrise du français, un certain niveau de performance en lecture (sans ânonner), écriture (orthographie correcte), écoute (se tenir tranquille dans les cours), prise de parole (flottement, ici, de ce qui est attendu, rien de précis n’existe dans les textes officiels), usage du langage abstrait scolaire (mot de l’analyse de texte et lexique de la grammaire scolaire), usage du langage conceptuel (argumentation, principalement). On remarquera que ces objectifs entrent dans les fonctions du langage telles que décrites par Jakobson. C’est dire que l’enseignement du français est, depuis les années 70 surtout, tributaire de cette visée d’enseigner une langue de communication.
On comprend qu’en poursuivant ses buts de plus en plus utilitaires, l’enseignement du français reste collé à ces objectifs.
On remarquera, aussi, que cette langue de communication est enseignée par voie d’abstraction, principalement, comme une matière à part entière. Or la langue n’est pas une discipline. C’est une réalité vivante qui sous-tend toutes les autres. On peut, avec Bena, résumer tout cela ainsi : la maîtrise du français c’est « à la fois une compétence linguistique et une compétence communicative polyvalentes, susceptibles de permettre [à l’usager du français] – en sa qualité d’encodeur et/ou de décodeur linguistique performant – d’opter, oralement ou par écrit, pour un type de discours (ordinaire ou scientifique) et un registre de langue (familier ou châtié) chaque fois en conformité aux exigences linguistiques, aux stratégies discursives, à la dimension sociale et sociolinguistique spécifiques à chaque genre d’interlocution » [1]
De la permanence d’une illusion : la Grammaire à l’école
Ce que montre le livre, à son corps défendant, c’est que l’illusion du bienfait du cours de grammaire dès le primaire reste lourdement présente. Par exemple, évoquant la crise de l’enseignement du français en Suisse romande à travers l’œuvre de Genevay, il convoque la méthode inductive tournée vers la communication, « des savoirs et savoir-faire communicatifs » [2]. On prend un corpus de texte choisis en fonction d’une question grammaticale particulière à étudier puis les élèves travaillent collectivement, ils observent et recherchent des régularités de fonctionnement en essayant d’en formuler les lois. Puis, munis d’un matériel approprié, les élèves vérifient les constats obtenus et mettent en œuvre les connaissances acquises lors de la recherche. On peut louer la phase d’observation, même si les corpus ad hoc et le type de travail induisent des demandes de l’enseignant qui font que cette observation est une fausse observation.
Dans les années 1970, en France et dans l’aire francophone, avec la révolution didacticienne de la communication, on trouve les mêmes errements. On croit améliorer l’enseignement grammatical par le biais d’un badigeonnage communicatif. Cela devient : associer les structures grammaticales à certaines dimensions sociales (fonctions langagières, – reprocher, approuver, inviter –, les registres de langue), à la sémantique (notions liées au temps, à l’espace, au degré, à la probabilité, quantificateurs, etc.), au discours (ordre des mots, séquence des informations connues et non connues, enchaînement des idées…), en y ajoutant le lien entre grammaire et tâches communicatives, sans oublier, ultime étape de cette soi-disant révolution une réflexion grammaticale au moyen de la conceptualisation…
Si, ici, l’intérêt est de comprendre l’enseignement de la grammaire à partir d’écrits contextualisés, on y envisage, toujours la grammaire comme un enseignement spécifique. Juste, on le fait avec en contrepoint des discours et des textes issues de la communication. Le formalisme et la scolastique gardent la préséance sur toute autre approche vivante. On est, toujours, dans l’usage sclérosé du langage à des fins didactiques. La situation pédagogique ressemble à un dispositif de laboratoire. Les exercices structuraux en sont un bon exemple. Ils pouvaient être utilisés ici comme dans la méthode inductive. Juste, on les fait faire en fin de séquence plutôt qu’en début.
Finalement, l’école n’est jamais sortie de cette obsession formalisante de l’enseignement grammatical et orthographique. Même dans les années mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix, avec l’élan pour la lecture méthodique des textes et les séquences didactiques organisées autour de textes, le formalisme et l’arbitraire des questions grammaticales soulevées se sont multipliés. Il suffit de lire les manuels du niveau collège de ces années-là pour l’observer. Les textes devenaient prétextes à telle ou telle leçon de grammaire. La différence est qu’on n’enseignait plus la grammaire dans la continuité d’un cours à part entière mais en l’incluant dans l’étude des textes ; cette approche aurait pu être intéressante mais le formalisme avait mis son grappin dessus avant même qu’elle soit éclose.
Critique de l’approche communicative
Ce qui se met en place dans les années mille-neuf-cent-quatre-vingt-dix et deux-mille, c’est une nouvelle approche communicative qui prend le dessus, avec son accent utilitariste immédiat. Quand on apprend pour entreprendre ou bien, selon sa classe sociale d’origine, pour se soumettre à l’entreprise, quand l’orientation devient règlementaire, suggérée et se fait synonyme de soumission à cette suggestion civique, quand l’établissement remplace les temps d’apprentissages par des temps d’évaluations et de tests afin de combler les publications de palmarès et autres tableaux statistiques, équivalents pour les institutions à ce que vaut le calcul de QI pour l’éducation des esprits, quand le métier d’enseignant se professionnalise sous l’impact du management, avec une hiérarchisation démultipliée des statuts intermédiaires, quand les enseignants portent eux-mêmes le discours de la non gratuité des études et de leur professionnalisation précoce, quand la pédagogie par objectifs retrouvent ses origines privées, celles de l’entreprise qui l’a vue naître avec ses référentiels, ses statistiques des performances des élèves, mis en courbes, grilles et araignées informatiques, la grammaire utilitaire s’impose comme la fleur à la boutonnière d’une pédagogie industrielle qui débite conjugaisons et met en sachet ses accords.
On reste dans l’idée que la performance communicative des sujets dépend de leur performance en psittacisme grammatical et orthographique, et ce contre l’évidence de l’échec de cette orientation pédagogique. Pourtant, le style, la subtilité linguistique de l’écriture ne doivent rien, absolument rien, aux connaissances grammaticales. Les écrivains sont rarement des grammairiens, en revanche, ils excellent dans la recherche du mot juste, dans le rythme et l’euphonie, dans la manipulation des techniques de l’expression et de la mise en discours des représentations humaines et sociales.
Mais de cela, la doxa n’a cure. Elle rabâche qu’il faut posséder (thésauriser) des savoirs en soi pour résoudre ce qu’on dit être leur dysfonctionnement en discours. Un déficit de connaissances grammaticales expliquerait, seul, la difficulté de maîtriser le français, notamment, le français écrit. Car l’écrit reste le mètre étalon de l’enseignement grammatical laissant hors de portée l’explication de la bonne maîtrise du français oral par ces mêmes élèves. Bena cite Rondeau qui déclare sentencieusement : « Posséder cette compétence communicative [que réclame l’école et ses programmes] c’est être capable de s’exprimer, oralement et par écrit, en fonction des différentes situations qui se présentent. Maîtriser l’orthographe, le lexique, la morphologie et la syntaxe, c’est précisément être capable de moduler l’utilisation de ces éléments de la langue française ». [3]
Qu’il nous soit permis de faire deux commentaires :
– Le premier commentaire portera sur l’illusion de réel qu’édifie l’auteur. En effet, lui et les programmes de français dont il rend compte, parlent d’une adaptation de l’élève à différentes situations. Or, ceci n’aurait de valeur que si l’école, effectivement, favorisait une pédagogie active où l’élève serait producteur de savoirs autant qu’observateur et évaluateur de ces savoirs. Or l’école empêche toute réalisation en ce sens ou ne laisse que peu d’espace pour les pédagogues qui œuvrent en ce sens. L’école apprend à simuler, comme dans un laboratoire et l’élève est noté sur sa capacité à reproduire de la simulation.
– Le deuxième commentaire interrogera le verbe « maîtriser » tel qu’ici employé. Maîtriser comme dans les programmes scolaires signifie être capable d’expliciter des règles et d’en employer un certain nombre à bon escient, celles de l’accord du participe passé, notamment. Or, maîtriser une langue, c’est savoir la manier en discours et, par conséquent, savoir faire varier son discours, c’est-à-dire, aussi, avoir acquis une plasticité en matière de constructions expressive de son vouloir-dire. Or, maîtriser les arcanes du discours, ce n’est pas être capable d’expliciter la différence entre une proposition conjonctive et une proposition relative, ce n’est pas être capable d’expliciter ce qu’est un nom ou ce qu’est un verbe, ce n’est pas être capable de décrire le mécanisme prépositionnel, ce n’est pas savoir parler d’un complément d’objet indirect et d’un complément d’objet indirect second, ou encore un attribut de l’objet. Tout enseignant sait que ce n’est pas parce qu’un élève connaît parfaitement « ses règles de grammaire » (comme si elles lui appartenaient en propre), ce n’est pas parce qu’il saura les énumérer lors d’une enquête, ce n’est pas parce qu’il saura dire quand il faut employer une virgule ou bien un point-virgule, les tirets ou les deux-points, qu’il saura, en situation de production ou de copie par l’intermédiaire de l’écoute, transférer ces savoirs dans sa pratique d’écriture. Une des enquêtes québécoises auprès des professeurs de français étudiées par Bena indique que « 38,1% du temps en classe de français est réservé à la grammaire (leçons, activités de grammaire et de conjugaison, dictées) » [4].
Dans une autre enquête, on relève : « Que l’enseignement grammatical garde la vedette dans les classes de français langue-maternelle. L’on s’attendrait par voie de corollaire à ce que les élèves soient plus performants dans les domaines directement liés au code linguistique. Ce n’est malheureusement pas le cas » [5].
Bena fait, à la fin du parcours des enquêtes convoquées, « le constat d’un douloureux paradoxe. En dépit de la place de prédilection qu’occupent les enseignements formels dans les cursus scolaires de l’aire francophone, la plupart des élèves n’auraient pas la maîtrise des questions grammaticales. Les mêmes règles de grammaire sont serinées d’année en année sans grand succès » [6]. « Il est évident que les piètres connaissances des élèves du secondaire et du collégial en grammaire et leur maîtrise plus que vacillante en orthographe grammaticale, en ponctuation et en syntaxe ne sont pas imputables à l’abandon ou au rétrécissement des activités de grammaire dans les classes » [7]
L’auteur va-t-il évoluer vers l’idée qu’il faudrait faire un enseignement de réflexion sur le langage sans pour autant baliser cette réflexion dans les rails d’une discipline scolaire ? Parfois, c’est ce à quoi tendraient ses constats, mais Jonas Makamina Bena, qui se place du point de vue des décideurs, s’y refuse. Du coup, on ne comprend pas très bien la grammaire réflexive qu’il prône à la fin du livre. On peut craindre, en effet, qu’il s’agisse de réintroduire du métalinguistique appuyé sur des linguistiques à base cognitiviste. Or, ce ne serait qu’une variante supplémentaire du préjugé grammatical qui a cours à l’école et dont, pourtant, l’auteur énumère les dommages.
La formalisation – devrions nous dire l’industrialisation – des aptitudes et connaissances du socle commun lancé en formation initiale en 2006 [8], favorise la même tyrannie de la grammaire formelle, sans plus le désir de son apprentissage véritable. On a décrété que les vieilles recettes du temps de Jules Ferry étant les meilleures et les mieux éprouvées, il fallait y revenir. Et l’éducation nationale y revient, s’autorisant un bond en arrière d’un siècle et demi dont la finalité idéologique est évidente : flatter une nostalgie nationaliste alors que dans le même mouvement la réforme du système éducatif en cours depuis 2005 intègre davantage le système éducatif au moule européen.
Conclusions
L’excellent travail de recension des enquêtes, réalisé par Jonas Makamina Bena, montre que toutes vont dans le sens de ne pas enseigner une grammaire de phrase indépendamment d’un choix didactique privilégiant la grammaire de texte. Cela prouve que pour sortir de la crise de l’enseignement du français abondamment instruite, la contextualisation de l’enseignement grammatical ne suffira pas. Il faut plus de hardiesse et prendre position contre les dogmes idéologiques, nationaux et politiques multiséculaires en privilégiant l’apprentissage du français à partir de la production langagière, tan orale qu’écrite, et donc abolir enfin la domination de la réception (écoute, lecture). Il s’agit de reconnaître pleinement la nécessité de la manipulation de texte, en affranchissement l’enseignement de l’obsession orthographique. Cela ne signifie pas ne pas faire attention à l’orthographe mais la remettre à sa place en l’intégrant comme une phase de l’acte de production écrite, une phase seconde liée à la mise au net du texte, à ses ultimes mises en forme. Ce n’est qu’ainsi que les élèves noueront un lien de saveurs avec leur langue. Par exemple, il est remarqué, dans nombre d’enquête chez les étudiants, un usage de la ponctuation très souvent fautif ou aléatoire. Comment pallier ce mésusage si l’université ne travaille pas à partir des productions estudiantines et si on n’en reste qu’aux inopérants conseils et manuels pratiques de la ponctuation ?
Le choix de la production contre celui des programmes officiels de l’enseignement du français imposerait de rompre avec la problématique de la remédiation toujours appuyée à un formalisme illusoire. Si le choix institutionnel de la langue communicative pour l’enseignement a échoué ce n’est pas parce qu’il ne s’est pas accompagné d’une refonte des contenus (c’est-à-dire du choix des textes dans les manuels) et des stratégies d’apprentissages (par exemple, la place accrue de l’oral et de la manipulation de formes) ; non. S’il a échoué, c’est parce qu’il n’est pas parti du niveau même de la situation de classe, du fonctionnement interne de la classe, de la refonte des évaluations et des modalités d’évaluation qui vont avec. En effet, si la grammaire n’est pas le cadre dans lequel s’organisent les moyens linguistiques mais qu’au contraire ceux-ci s’organisent d’abord en « styles et en répertoires liées à des situations » [9], alors il serait juste de dire que l’enseignement doit partir des productions en situation des élèves pour aller vers leur analyse. Ce serait juste, à condition de permettre aux élèves, d’abord de produire des textes et de les mener à travailler ces productions donc le style, donc les discours. Plus tard, bien plus tard, probablement pas avant le lycée, vers 13/14 ans au plus tôt en tout cas, l’enseignement investirait utilement le champ grammatical proprement dit.
Ce changement radical est nécessaire sinon, tout change (on ne compte plus le nombre des réformes de l’enseignement du français depuis les années mille-neuf-cent-soixante-dix) pour que rien ne change. Un exemple ? Prenez l’enseignement de l’oral. Il est inscrit dans les Instructions Officielles, mais rien dans les programmes n’en tient compte : et de classe en classe on subordonne tout l’enseignement du français à la récitation de règles de grammaire. Or l’apprentissage précoce des règles grammaticales est un déni de l’enseignement de l’oral. Et ce propos n’est pas excessif : le français oral ne suit pas la grammaire du français écrit et personne ne s’en soucie en haut lieu et chez les experts qui pantouflent dans des commissions ad hoc ! Pour travailler le français oral, qui ne comprend pas qu’il faut partir de l’expression orale effective. Qui ne comprend pas que là est la clé pour travailler avec les élèves et des groupes d’élèves sur les discours, et la rigueur discursive à mettre en œuvre pour exprimer ce qu’on veut dire. Il faudrait, aussi, partir de situations réelles et non de fiction de situation comme s’y ingénient les manuels. La révolution de l’enseignement du français est à ce prix et la résorption de la crise de l’enseignement du français passera par-là, nécessairement, même si ce n’est pas le tout de l’intervention linguistique qu’il faudrait considérer.
Cinq compléments en citations
LES DIFFICULTÉS DANS LE SUPÉRIEUR
Jonas Makamina Bena fait état d’une enquête belge qui montre que les étudiants se heurtent à des difficultés d’ordre lexicales : substitution incorrecte de mots, pensée logique mal exprimée, double négation non maîtrisée. Les difficultés syntaxiques arrivent en second mais les difficultés logiques (agencement de la pensée) qui arrivent en troisième sont à mettre en relation avec les difficultés lexicales liées à l’expression de lien logiques.
PARTICIPE PASSÉ : CE QUI PARTICIPE DU PASSÉ
Un enseignant agrégé, dans une enquête : « On peut aisément montrer à l’élève que c’est la perturbation de l’ordre des mots SVC, qui induit les marques du participe passé avec le CD antéposé pour rappeler qu’il y a une suite à l’emploi du verbe (transitif). Quand le CD suit, cette remarque n’a plus de raison d’être ». Bena commente à juste titre : « Glose plus ou moins maladroite de la règle de position instaurée par Clément Marot au XVIe siècle et ressassée depuis lors par les grammairiens ». [10]
EN BREF
● « Dans les pays francophones, depuis le début de la scolarisation obligatoire des jeunes au siècle dernier et jusqu’à très récemment, l’enseignement de la grammaire a été le pilier de l’enseignement du français dans les premiers cycles de la scolarité. Aussi, tous les projets de rénovation de l’enseignement du français depuis trente ans ont redéfini le rôle de la grammaire dans la classe de langue. » [11]
● Dans l’histoire de l’enseignement du français, pour le participe passé, ce n’est que dans la seconde moitié du 18e siècle que les règles s’établissent. Pour ce qui du participe passé, employé avec l’auxiliaire avoir, il s’accorde avec « quelque chose qui précède », « quand la chose est avant le verbe » ; donc, « si le nom avec son relatif précède un participe actif » ; bref, « si les accusatifs précèdent le participe » ; on parle aussi de « correspondant » pour ce qu’on nommera plus tard le « régime direct » avant d’opter pour l’expression de « complément d’objet direct ». Pourquoi dans la seconde moitié du siècle ? Parce que ça accompagne la montée de ’enseignement orthographique. Entre 1770 et 1786, le participe passé revient sept fois au concours de l’agrégation de grammaire de l’université de Paris qui recrute les régents des collèges parisiens. Le premier sujet de composition française donné à la Sorbonne pour le baccalauréat ès lettres en avril 1853 portait sur la question : « Quelles sont les règles des participes dans l’orthographe française ? » [12]
● Les instructions officielles de 1985 repoussent la connaissance de la règle des accords du participe passé du primaire au collège. Commentant les « fautes » des élèves, sur les accords des participes passés avec le verbe avoir, à la dictée qui a servi à leur enquête, les autrices de l’ouvrage cité écrivent : « Pour beaucoup aujourd’hui, cette règle est tout entière le fruit d’un apprentissage purement scolaire - et d’un très grand arbitraire. De plus, elle ne peut que semer le trouble, puisqu’elle va à l’encontre d’une règle fondamentale de notre langue, à savoir l’accord entre le verbe et son sujet. » [13]. La phrase incriminée est celle-ci : « la sève que les racines avaient réunie dans le tronc ». Le taux de réussite de cet accord est de 9,7% en 2005. À la même dictée, il était de 13,7% en 1987. Dans les deux cas, les élèves mettent un s c’est-à-dire accordent avec le sujet du verbe avaient réunie. Cela milite, quand même, en faveur de la suppression de cette règle.
DÉFINITION DE LA GRAMMAIRE SCOLAIRE
« On appelle grammaire scolaire un ensemble de savoirs –ainsi que l’ouvrage qui les contient que ce dernier soit utilisé dans les écoles ou non, qu’il date de 1920, de 1965 ou de 1995 - qui correspond à la vulgate grammaticale élaborée pour l’enseignement des règles prescriptives du français écrit normé ». [14]
Permettons-nous un commentaire :
* Le français écrit est le mètre étalon de la grammaire scolaire. Or, l’écrit est ce que les enfants maîtrisent le moins bien ; d’autre part, ils connaissent parfaitement la grammaire de leur langue à l’oral. L’école présuppose donc que la grammaire de la langue orale et celle de la langue écrite sont identique. C’est vrai pour les mécanismes profonds, pour la systématique de la langue, en revanche, c’est faux pour le niveau auquel opère la grammaire scolaire, c’est-à-dire le discours. À ce niveau, en effet, l’oral et l’écrit forment reposent sur des règles de construction distinctes.
* Parce qu’elle identifie la langue au discours écrit, elle valorise l’orthographe jusqu’à en faire l’expression même de la maîtrise grammaticale. Voilà comment l’orthographe est devenue la discipline phare de l’école.
* La conjugaison en est l’illustration qui fonctionne distinctivement en ses marques, surtout, à l’écrit. En effet, si on ne considère que l’identification sémiologique d’un verbe transitif en –er, aux 42 formes graphiques correspondent 19 formes phonétiques ; pour l’auxiliaire avoir, on a 44 formes graphiques pour 23 formes phonétiques et pour être, 41 formes graphiques pour 25 formes phonétiques [15]. Ainsi, la grammaire scolaire fait la part belle à la morphologie restant en cela assez prisonnière, encore aujourd’hui, de la grammaire logique et de la grammaire latine qui toutes les deux sont à son fondement et ont imprégné sa genèse.
* La grammaire scolaire est prescriptive. En ce sens, elle ne recueille pas les usages mais impose un usage imaginaire. Elle repousse, ainsi, dans le non normatif les discours enfantins. Elle fait de la langue scolaire une étrangeté au lieu de fonder l’approche de la langue sur des mécanismes communs de construction.
QUATRE ILLUSTRATIONS COMPLÉMENTAIRES
1- « [La grammaire] réussit à en imposer grâce à ses innombrables silences, et surtout à la relation pédagogique où elle s’insère, fondée sur l’autorité et sur l’obéissance. Grâce aussi à l’orthographe qui, par son caractère institutionnel, apporte à la grammaire scolaire une sanction d’authenticité et de scientificité. (…) C’est bien d’une véritable mystification que sont victimes les élèves, et les maîtres. L’appareil des concepts à partir desquels ils travaillent s’effondre comme un château de cartes quand on le soumet à une analyse rigoureuse. ». [16]
Osons un commentaire :
2- La finalité de l’enseignement grammatical reste la maîtrise de l’orthographe grammaticale. À l’heure où on dit prendre conscience que le périscolaire est un marché lucratif qui spécule sur la difficulté scolaire, il serait logique de réduire ces coûts inutiles et purement spéculatifs en réformant radicalement l’orthographe. C’était vrai en 1977 ça l’est toujours aujourd’hui où le marché se chiffre en millions d’euros.
3- Les programmes justifient, toujours, l’enseignement grammatical en assurant qu’il est le garant de l’accès à une langue correcte à l’oral et à l’écrit [on confond encore et toujours langue et discours] et qu’il contribue à la formation d’une pensée rigoureuse. Or tout ceci est faux. Ainsi, Chartrand écrit : « L’enseignement traditionnel n’est pas seulement déficient en termes de stratégie pédagogiques, il transmet aussi un corps de connaissances préscientifiques dont plusieurs sont très discutables. De fait, il n’est aucune discipline scolaire qui ne soit enseignée aussi peu rigoureusement et qui ne se fonde autant sur des connaissances dépassées et considérées comme inacceptables par la communauté scientifique ». [17]
4- La grammaire scolaire « est un obstacle à la construction de mécanismes intelligents ». [18]
Sommaire complet des contributions :
[premier volet]
[deuxième volet]
- - Maîtrise du français et crise de l’enseignement du français
• De la permanence d’une illusion : la Grammaire à l’école
• Critique de l’approche communicative
• Conclusions - - Cinq compléments en citations :
• Les difficultés dans le supérieur
• Participe passé, ce qui participe du passé
• En bref
• Définition de la grammaire scolaire
• Quatre illustrations complémentaires
[troisième volet]
[quatrième volet]
Notes