Dans « Patty Cakes », Young relate une sorte de scène primitive à l’origine de son intérêt pour l’ALS et, partant, pour l’affaire Patricia Hearst. Le journaliste y confie le « béguin présexuel » (« presexual crush ») qu’il ressentit précocement, dès l’âge de neuf ans, pour l’une des membres de l’Armée Symbionaise, Emily Harris, alias « Yolanda », qui participa à l’enlèvement de Patty :
« Je ne suis pas sûr de ce par quoi j’étais impressionné, mais j’ai éprouvé, moi aussi, à l’âge où je n’étais qu’un gosse de 9 ans, quelque chose comme un appel de l’ALS. Je devins obsédé par le kidnapping de Hearst, lisant tout ce que je pouvais trouver sur l’histoire. Des amis m’avaient confié leurs fantasmes où il était question de sauver Patty de ses oppresseurs. Chaque jour, des sites web se remplissaient de messages dévoués à Patty, rédigés par des hommes en colère encensant sa beauté. Mais pas moi : je frayais avec les ravisseurs.
Je suppose que j’éprouvais ce que vous pourriez nommer un béguin présexuel pour Emily Harris, une fille d’un groupe de femmes devenue terroriste et rebaptisée « Yolanda » par l’ALS. Mon mug à son effigie laissait un cercle humide sur mon bulletin de notes, tout près de la photo de Fran Tarkington, le bouillonnant quaterback des Minesota Vikings, et de quelques-uns de mes stickers Wacky Packs préférés. (Je préfère ne pas spéculer sur ce que cela dit aussi bien de mon gout en matière de quaterbacks de la Ligue qu’en matière de femmes ; Fran ne gagna jamais un Super Bowl, et Emily est une ancienne escroc) ».

L’article de Gordon Young, à un premier niveau de lecture, s’efforce de rendre justice à Emily Harris contre Patty Hearst, et on peut y voir une sorte de témoignage amoureux de l’adulte Young en fidélité au fantasme du garçon pré-pubère. Le passage dans lequel Young se confronte sur ce point à Tim Eagan est à ce titre savoureux :
« J’avais un gros béguin pour Patty, je voulais être son chevalier en armure étincelante », admet Tim Eagan, un vieux juriste de 57 ans qui est aujourd’hui dessinateur de cartoon et graphiste, et qui vit à Santa Cruz. « Elle avait ce côté bon genre, ce truc de blonde friquée qui va de l’avant. J’ai des origines prolétaires, alors je suis sensible à ce genre de look ».
Quand je lui appris que j’en pinçais pour Emily Harris, Eagan ne put retenir quelques piques. « Oh Seigneur, ça ressemble à s’enticher pour l’une des Manson Girls », lâcha-t-il.
Mais en arrière-plan de ce contexte fantasmatique sur lequel Young ironise (« She’s hot [Patty]. She’s soooooooo hot »), l’enjeu de l’enquête serrée de Young est celui, autrement plus grave, de savoir qui tua Myrna Opsahl d’un tir de fusil à pompe, lors du braquage de la Crocker National Bank le 21 avril 1975, auquel participèrent, entre autres, Patricia Campbell Hearst, Emily Harris et son mari Bill. L’histoire est complexe, et sera surtout complexifiée le 20 mai 2001 par un article du New York Times Magazine qui ressort le dossier du placard et déroule un scénario qui, faisant appel aux témoins directs du meurtre, discrédite les rapports du FBI qui disculpèrent Hearst lors de son procès. Le fils de « Yolanda », Jon Opsahl, a lui-même mené une longue et infructueuse bataille juridique pour faire reconnaitre cette version qui accable l’héritière, sans résultat, jusqu’à accepter, de guerre lasse, que la famille Hearst lui fasse fermer le dossier par un chèque de 200.000 dollars.
Young, lors de l’arrestation d’Emily Harris à l’âge de 54 ans après une interminable cavale, a tenté de lui rendre visite en prison où elle était condamnée à une peine de huit ans pour complicité dans l’enlèvement de Patty. Il raconte de quelle façon il en fut empêché par l’administration pénitentiaire américaine sous de fumeux prétextes. Mais le journaliste s’obstine, tente encore sa chance, et apprend que la caution d’un million de dollars fixée pour la libération d’Harris a été payée. Il guette la sortie de prison d’Emily Harris, parvient à l’approcher (sans oser lui avouer son « béguin présexuel » ni lui poser la question cruciale de savoir qui avait tué Opsahl), et son entretien avec l’ancienne activiste de l’ALS est rapidement écourté par les personnes non identifiées qui attendaient Harris et la font s’engouffrer dans un gros SUV Lexus noir avant de démarrer en trombe. Young précise qu’après sa libération, Emily divorça de Bill Harris — un autre participant au braquage de la Crocker Bank d’avril 1975 — et fit l’acquisition d’une « belle maison de quatre chambres pour un montant de 265.000 dollars ».

Catherine Wood Campbell
& Randolph Apperson Hearst :
Wonderbra, blondeur et Pure Wool
Gordon Young ne saura pas qui a payé la caution de 1 million $ de Harris, que Patty accuse du meurtre de Myrna Opsahl dans son autobiographie Every Secret Thing (1982). Il ne va pas jusqu’à dire (et comment pourrait-il le faire ?) qu’on pourrait voir dans ce geste la main du pouvoir de la Hearst Corporation. Il ne saura pas, et nous ne saurons sans doute jamais, qui a tué Myrna Opsahl le 21 avril 1975. Young reconnait, dans « Patty Cakes », la nostalgie qu’adulte encore il éprouve pour l’affaire, son climat, en même temps qu’il la critique et la réfrène pour poser la question éthique, celle qui interroge le dossier de l’ALS, ses zones d’ombre, la possible culpabilité de Patty dans les recoins des conclusions de l’enquête du FBI.
Dans son autre texte d’investigation, Patty Hearst’s Little Red Book, sous-titré « The SLA was not her first exposure to the rhetoric of revolution » (« L’ALS n’était pas sa première exposition à la rhétorique de la révolution »), Young démonte patiemment la défense de Patty Hearst et de ses avocats qui n’eurent de cesse de la présenter comme une étudiante studieuse ignorante des luttes révolutionnaires de son époque. En fait, Patricia Campbell Hearst a étudié les théories de l’action révolutionnaire à Menlo College avant d’intégrer UC Berkeley (qui à l’époque était l’université gauchiste par excellence). Elle a durant un an suivi le cours d’un professeur d’histoire contemporaine à Menlo, Joseph Bertrand, intitulé « History of Revolution ».
Young a retrouvé la trace du professeur Joseph Bertrand. Le cours d’une année déroulait les théories de la révolution, depuis le Manifeste de Marx jusqu’aux écrits du Black Panther Eldridge Cleaver, en passant par le Petit Livre Rouge de Mao et les écrits d’Ho Chi Minh. Le cours, dit Bertrand, « était entièrement basé sur des lectures révolutionnaires et sur les discussions de ces lectures ». Bertrand décrivit à Young une Patricia Hearst passionnée par son enseignement quand le reste de la classe manifestait moins d’enthousiasme. Un autre professeur de cette époque, qui demanda à Young de préserver son anonymat, lui confia que Patty disait parfois que sa participation à un groupe révolutionnaire serait un bon moyen pour elle « d’embarrasser ses parents ». Young demanda à Joseph Bertrand son sentiment sur ce point : « I’d rather not comment », répliqua laconiquement le professeur, ce qui, effectivement, se passe de commentaires.
Jérôme Delclos
Suite au prochain épisode…
