Quatrième volet

Contributions autour de la crise de l’enseignement du français (4)

octobre 2024

Qui parle de crise de l’enseignement du français interroge la maîtrise du français par les élèves et aussi la politique éducative censée apporter des réponses.

Sommaire complet des contributions


Dix propositions pour une révolution pédagogiques de l’enseignement du français réel

Partons d’un constat : quand l’institution scolaire et ses condottieri abordent la grammaire dans le cadre de la rénovation de l’enseignement du français, elle opère avec des éléments à la mode du jour, qui peuvent sembler intéressants mais qu’elle s’abstient de préciser pédagogiquement. Chaque fois, en effet, elle les aborde en restant muette sur les pratiques enseignantes. Il faut dire que les universitaires, les didacticiens et autres pédagogues de chaire causent du lointain de l’apprentissage concret des élèves. C’est là deux raisons de la reproduction éternelle de la scolastique.

Pour qu’il y ait révolution pédagogique, il faut qu’il y ait changement d’axe :
*- non pas les textes des manuels mais les discours des élèves,
*- non pas le métalangage grammatical mais la production verbale des élèves,
*- non pas le dogme de la correction mais le principe du tâtonnement,
*- non pas la hiérarchie entre langage écrit et langage oral mais l’approche différenciée du discours écrit et du discours oral,
*- non pas le livre du maître mais des livres écrits par les élèves,
*- non pas un enseignement conçu en fonction de l’individu élève mais en fonction du groupe et de la personne dans le groupe,
*- non pas la hiérarchie des relations interpersonnelles mais la coopération…

Mais on sait trop que les professionnels de l’institution s’emparent des éléments de rénovation ou de révolution pour, les énonçant vaguement (ils seraient bien incapables de faire autre chose), s’en servir dans le but de faire illusion. Aussi, nous allons énoncer un certain nombre d’éléments et tenter de les aborder en les décapant de leur charge illusionniste afin de les établir en leur charge subversive.

Voici :

1. Étudier la phrase ou bien élargir l’étude au texte.
Ce critère ne dit rien du pôle à privilégier : est-ce le pôle de la production (écrite et orale) du discours ou bien est-ce le pôle de réception (lecture, écoute) du discours ? Dans le premier cas, l’élève est obligatoirement actif, dans le second il est plutôt passif. L’institution scolaire privilégie ce second pôle depuis toujours et encore aujourd’hui. Ce critère ne dit rien, non plus, de la place de la langue orale, du langage parlé à partir duquel, pourtant, on devrait commencer tout enseignement linguistique tant il est commun à tous les élèves. On éviterait, ainsi l’effet d’étrangeté génératrice d’angoisse, que l’élève ressent souvent face à l’écrit. On travaillerait l’oral pour mieux entrer dans l’écrit au lieu d’expliquer des constructions de l’écrit pour rendre compte de la pratique du langage oral qui, justement, ne procède pas de ce type de constructions.

2. Placer le discours au centre du travail linguistique à l’école.
L’institution scolaire a, un temps, flirté avec cette idée, mais sa réflexion est restée abstraite, sans aucune prise en compte du développement ni verbal ni cognitif des élèves. Aussi, la tentative de l’institution a consisté à remplacer une scolastique formelle de la grammaire de mot et de la grammaire de phrase par une grammaire abstraite du discours avec rapatriement de tout l’arsenal métalinguistique grammatical pour analyser les textes. Sans s’en expliquer, l’institution scolaire a abandonné ce qui aurait pu être une ouverture vers les élèves et la pratique langagière, pour réaffirmer sa Marseillaise orthographico-grammaticale. Pourtant, seul le discours peut être efficacement l’objet d’enseignement à l’école primaire et au collège.

3. Viser la pratique correcte du langage dans des situations quotidiennes.
Cet élément est creux si aucun travail n’est mené sur les représentations sociales de la langue ; il est creux tant que les dispositifs pédagogiques où opèreraient les pratiques discursives et le travail intellectuel des élèves ne sont pas précisés c’est-à-dire si les pratiques ne se confondent pas avec le travail des élèves en productions in situ (correspondance scolaire, échanges entre classes, publications, théâtre, spectacles poétiques, etc.). Cet élément de rénovation est creux, aussi, si n’est pas abordée la nécessité d’une réforme radicale de l’orthographe – sur le modèle de l’ortografe populère : celle-ci fut conçue après la seconde guerre mondiale au sein du mouvement Freinet mais, signe du temps réactionnaire que nous vivons, celui-ci l’a abandonnée, attiré par les sirènes des grilles de compétences pourtant si loin de l’élaboration des fichiers auto-évaluatifs et co-évaluatifs dont le mouvement a été l’instigateur dans le cadre de la coopération pédagogique…

4. Enseigner la lecture et l’écriture l’une avec l’autre et jamais l’une sans l’autre en situation vraie ou vraisemblable.
C’est ne rien dire car dans ce processus unique, il y a bien une dominante. Pour nous, c’est l’écriture. Il faudrait donc partir, d’abord, de l’écriture qui entraîne automatiquement la lecture. L’inverse n’est pas vrai.

5. Favoriser le travail de réflexion sur la langue.
C’est ne rien dire s’il n’est pas précisé que l’enseignement ne vise pas, en primaire et en collège, l’apprentissage d’un métalangage. C’est ce dogme du métalangage qu’ont imposé, dans leur arrogante ignorance des difficultés des élèves, les cognitivistes et autres experts auprès des ministères successifs. Sous les oripeaux de textes gonflés de scientisme, ils ont repris en termes rénovés, la vieille lune et les travers de l’enseignement grammatical, de la même manière qu’ils ont orchestré un retour au B.A.-BA dans l’enseignement de la lecture. À partir notamment du début du vingt-et-unième siècle, ces cognitivistes, pseudos experts et didacticiens ont ainsi redoré le blason de l’enseignement formel et abstrait des dogmes grammaticaux. C’est évidemment catastrophique pour les élèves. Il faut abolir ces dogmes grammaticaux et y substituer, énoncée en langage accessible, la connaissance des mécanismes de mise en discours et de construction des mots. Le mot discours doit donc être substitué au mot langue et l’élément révolutif devient alors : favoriser le travail de réflexion sur le discours pour permettre aux élèves de construire la langue en eux par le goût du dire, de l’écrire, du parler, du dialoguer, de la coopération verbale, de l’entendre, du lire, de l’écouter.

6. Favoriser la créativité entendue comme le décloisonnement des disciplines toutes participant de la maîtrise de la langue.
C’est ne rien dire car cette langue de bois ministérielle masque le fait que la créativité linguistique, comme toute activité de création artistique ou scientifique, repose sur l’exercice de l’imaginaire. D’autre part, souvent, cet appel au complexe, à l’interdisciplinarité n’est qu’un leurre pour d’autres visées gouvernementales (introduire la bivalence chez les enseignants, diminuer le nombre de postes, édulcorer le disciplinaire pour y introduire des évaluations formelles faciles à faire passer par toute personne sans lien avec le sens des apprentissages). Pour contrer ce leurre, il faudrait ne pas délier l’interdisciplinarité de l’ancrage disciplinaire des connaissances transversales dont, pour l’instant, on ne sait que peu de choses. De plus, pour l’institution scolaire, maîtriser la langue requiert de faire de la langue un objet de connaissance c’est-à-dire une langue morte, une langue chosifiée. Et voilà comment on retournerait à la case départ de l’enseignement grammatical scolastique. En réalité, l’enjeu du décloisonnement disciplinaire pose aussi la question de l’organisation des groupes d’élèves et donc, pour qu’un décloisonnement ait réellement lieu, il faut éliminer l’organisation qui calque classe (CP, etc.) et classe d’âge de la scolarité, il faut casser les groupes classes, organiser les groupes d’apprentissage, impliquer les élèves dans la vie des établissements avec un pouvoir réel comme la pédagogie coopérative Freinet et pour partie la pédagogie institutionnelle l’ont au fil des décennies élaborée. Il faut aussi une tout autre organisation des enseignements comprenant les temps de coordination, de coopération, de conceptions coopératives entre enseignants, éducateurs, élèves. Alors, le décloisonnement prendrait une signification concrète et non illusoire.

7. Favoriser la créativité.
C’est ne rien dire si on ne pratique pas un enseignement qui met l’observation au poste de commande des situations d’apprentissage avec la manipulation des formes, les confrontations interprétatives entre les élèves. C’est ne rien dire si n’est pas mise en avant, une pratique qui amène les élèves, par la manipulation à des classements, à des comparaisons en vue de productions spécifiques à défendre, si possible en public. C’est ne rien dire si on ne renforce pas la part du livre à l’école, et ce, aujourd’hui où internet étend son hégémonie jusqu’à organiser des réflexes d’information en lieu et place de recherche de connaissances par choix compréhensifs. Cela implique de valoriser le livre, d’en faire une raison consciente centrale pour le développement de la culture humaine : le livre éditorial bien sûr, mais aussi le livre fabriqué par des élèves, par des groupes d’élèves, par chaque élève. Cette valorisation gagnerait à s’appuyer, entre autres pistes, sur les professionnels des livres, sur les typographes, évidemment, avec qui renouer aujourd’hui avec la conception géniale de l’imprimerie à l’école due à Célestin Freinet.

8. Revoir les contenus des programmes et des manuels.
C’est ne rien dire quand on ne touche pas à la méthode, à la pédagogie, à la conception de l’apprentissage et qu’on en reste à une vision encyclopédique ou d’entassement de compétences quand ce n’est pas d’aptitudes comme avec le socle commun de connaissance et de compétences. Et puis c’est au fond conserver la conception hiérarchique de la culture scolaire. Ni Dieu cognitiviste, ni livre du maître ! À bas les grilles de compétences ! À bas les manuels !

9. Former les enseignants à la linguistique.
C’est ne rien dire car la formation continue des enseignants pèche par deux aspects : soit elle est théorique et ne peut pas faire l’objet de concrétisation lors du retour en classe ; soit elle est pratique, mais alors, elle relève du livre de recettes dont un des défauts majeurs est l’ignorance de toute cohérence épistémologique entre les propositions divulguées ou prônées et les pratiques pédagogiques réelles des enseignants. Il ne peut y avoir de formation efficace que par un ancrage délibéré et explicite de l’enseignement dans le constructivisme d’une part et d’autre part, par la formation des enseignants à une linguistique constructiviste tant de langue que de discours. D’autre part, la co-formation devrait être encouragée, ainsi que la reconnaissance par les autorités de tutelle des travaux des enseignants en lien avec leur pratique professionnelle. Le problème n’est pas de recycler les enseignants comme on l’entend dire dans les milieux de la formation continue des rectorats mais de les former à des pratiques. Ajoutons qu’il serait essentiel que les praticiens se forment entre eux, et que soit cassée la division du travail qui reproduit auprès des personnels la hiérarchie institutionnelle entre professeurs et élèves. Une conséquence serait que les bureaucrates de la formation, les inspecteurs, les planqués divers devraient enseigner à des élèves au lieu de dire aux autres comment enseigner. Ce n’est pas si mal de savoir de quoi on parle quand on prétend enseigner quelque chose aux autres : ce principe est combattu par la horde des hiérarques et leurs condottieri…

10. Augmenter le volume horaire du français.
C’est ne rien faire si c’est pour continuer dans les mêmes travers. D’autre part, une révolution pédagogique exigerait de ne plus penser en termes d’horaires saucissonnés mais de travailler à partir de répertoires de savoirs (de savoir et non pas de compétences) élastiques où l’ancrage local pourrait se faire sans nuire à l’atteinte d’objectifs généraux et généreux fixés dans des programmes redéfinis. Mais laissons donc les élèves découvrir à leur rythme et selon les années des domaines divers, différents, qui pourraient ne pas être les mêmes au même âge pour tous. C’est, là encore, par une révolution dans l’organisation pédagogique que réside la réponse à la question des horaires. Cela nécessitera d’éliminer la notion de classe et de revoir celle de niveau (CP, CE1, 6ème, 5ème, etc.) qui sont, avec le dispositif des notes les cadres coercitifs de l’éducation bourgeoise. Et comme l’apprentissages sera fondé prioritairement sur l’expérimentation, l’apprentissage linguistique constructiviste, donc, expérimental, requerra des groupes restreints d’élèves et non des cohortes dépassant les quinze élèves.


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Notes