Le texte et la pratique théâtrale : première suite

novembre 2022

Nous avons vu, dans le précédent blog comment une classe de collégiens et collégiennes s’appropriait un texte classique. Nous allons voir dans celui-ci comment elle peut s’emparer d’un texte contemporain et présenter quelques dispositifs pédagogiques mis en place pour favoriser le projet.

Dans mon enseignement le projet théâtral fédérait l’ensemble des activités de français ; j’ai toujours refusé de créer un club ou à créer une option –au sein du collège–. La classe de quatrième qui m’était confiée se trouvait embarquée dans le projet. Il n’y avait donc pas de choix préalable des élèves pour venir dans cette classe.

La classe, tout au long de l’année, pratiquait l’assemblée générale mensuelle, où se discutait tout ce qui concernait le cours de français. Cette assemblée générale était organisée à la manière d’un conseil coopératif. Sauf qu’on ne fait pas de la coopération en une seule matière dans une seule classe d’un établissement scolaire, ce serait dévoyer le terme de coopération l’école que de prétendre l’inverse. En effet, on est contraint, empêché, par la structure de l’établissement. En conséquence, disons qu’avec l’assemblée générale mensuelle, la classe tendait vers un fonctionnement coopératif, mais limité aux questions de la classe de français. Si je donne ces précisions, c’est pour rendre sensible la tenue des assemblées générales : elles sont une condition permissive à l’expression des élèves. Les assemblées générales sont des lieux où se confrontent des paroles. Il n’y a rien de spontané à ce que les élèves prennent la parole ; cela requiert aussi un apprentissage, surtout si on notifie qu’il s’agit d’une parole partagée, acceptatrice de la réciprocité. Les assemblées générales sont un dispositif essentiel de cet apprentissage, surtout dans le cadre contraint de l’établissement scolaire à fonctionnement purement hiérarchique. Le cadre juridique des collèges interdit tout droit réel aux collégiens. Ils ne possèdent ni le droit d’association, ni le droit d’expression autonome publique, ni le droit d’organisation libre de représentants et de représentantes librement mandatés. Ce qu’on nomme droit pour les collégiens, est calqué sur une démocratie formelle en tant qu’elle relève de l’éducation morale et civique : les élections de délégués de classe, la cooptation des délégués de délégués au conseil d’administration de l’établissement, ou encore ceux et celles cooptés pour participer au conseil départemental jeune, pour éprouver sûrement les bienfaits de la bureaucratie des élus politiques.

À l’inverse, dans l’îlot de la classe, l’assemblée générale permet l’organisation de la prise de parole, sa gestion par les élèves. C’est peu, cela ne fait pas un contrepoids à la structure en place de l’établissement mais c’est une autre expérience de la vie collective et de la valeur donnée à la parole de chacun et chacune. En dehors des deux premières assemblées générales où l’enseignant assure l’animation de la séance avec les élèves, l’assemblée fonctionne ainsi : comme dans un conseil coopératif, les élèves animent eux-mêmes la séance, deux élèves à chaque séance assurent le compte rendu de l’assemblée purement interne à la classe et jamais donné à l’administration –principe essentiel de la confidentialité collective des débats de ces assemblées–. Ce compte rendu, chaque élève en est destinataire dans la semaine qui suit. Enfin, un élève est le chronométreur, il assure que les débats se tiennent dans les temps dévolus pour chaque sujet.

Pour les pièces de théâtre, le blog du mois d’octobre a montré comment les élèves se sont appropriés un texte de Tolstoï, un dialogue. Ils en ont fait une pièce ce qui a exigé de la réécriture. Cette réécriture, avons-nous insisté, tenait à l’éclaircissement des situations, de certains enjeux sociaux de la pièce que les élèves de quatrième ne possédaient pas (l’impôt sur les alcools, la patente etc.). Le texte de L’Ivrognerie a été remanié, aussi, à partir des exigences de la mise en scène qui se faisait jour au fil des séances. Le groupe-troupe, comme tous les groupes-troupes qui réunis rassemblaient toute la classe, a travaillé selon les séances avec Daniel Millot un comédien complice du projet, avec moi, et plus épisodiquement (à cause de problèmes d’emplois du temps) avec un professeur de mathématique et un professeur d’histoire-géographie, tous les deux parties prenantes du projet. Donc, L’Ivrognerie a montré comment le groupe-troupe a réécrit en pièce le texte de Tolstoï. Dans cette seconde partie, nous allons présenter un texte écrit par moi à partir de multiples discussions avec la classe sur les addictions et repris, ensuite pour sa représentation par un autre groupe-troupe de la classe.
Là encore, les didascalies n’ont cessé d’être réajustées, modifiées et précisées. Certains passages du texte ont été modifiées. Tout le passage « INDIVIDU EN BLOUSE BLANCHE » a fait l’objet de multiples débats au sein du groupe-troupe. Il a été éliminé, puis remis. L’élève qui jouait le rôle s’est ensuite entraîné tout seul, sous la supervision d’un des adultes du projet (enseignants ou comédien). Puis il a été réintégré à la pièce ce qui a entraîné de nombreuses discussions sur la signification du passage, sur la composition de la pièce.

Nous donnons ici le texte final de la pièce.

L’Ivreronde
ou
Trois actes en une soirée

2012. Un appartement. Le salon. Sur la table une bouteille d’alcool. Une porte. Pierrot, Max, Jo Marie, Dany. Tous entre 14 et 16 ans. Habits de tous les jours.

Pierrot : un garçon
Max : un garçon
Jo : androgyne
Marie : une fille
Dany : une fille

Acte I

PIERROT, MAX, MARIE, DANY, JO
Chaque personnage sauf Pierre, tient un verre à la main
PIERROT [il tient une bouteille à la main] : Tiens prends-en !
MAX : Non je n’aime pas ça.
PIERROT : Allez, essaie.
MAX : Non !
PIERROT : Mais merde ! Tu fais chier ! On t’a pas obligé à venir. Allez, tu goûtes au moins…
MARIE : Tu nous fais la gueule ou quoi ?
MAX : Bon, mais juste un peu.
[Pierrot lui verse une rasade]
PIERROT : Mais oui, mais oui. Tu vas voir tu sens l’animal descendre jusqu’à l’estomac, c’est chaud, ça t’éclaire l’esprit.
JO : L’important c’est de sentir le liquide qui coule, comme le sang, sentir que ça passe, là où ça passe. Ça servirait à rien de ne pas sentir ce qu’on boit, c’est pour ça que c’est du fort. T’inquiète pas ! Tu vas mieux voir les choses après.
MARIE : Ce qui est bon c’est ce déchirement dans le cou et puis la tête qui s’élargit [Max la regarde surpris] Si, c’est vrai, boire c’est une activité cérébrale, c’est dans la tête, c’est pour se retrouver soi-même dans sa tête. Tu m’en verse un autre Pierrot ?
[Pierrot finit son verre et ressert tout le monde]
PIERROT : Allez encore une tournée…
[ils se disposent tous en cercle autour de Pierrot qui les sert en tournant sur lui-même]
MAX : Moi on me dit toujours que je suis lent. Alors si tu me dis que ça va ralentir, que boire ce truc c’est entrer dans le monde du ralenti, pour une fois, je serai dans mon monde. J’en ai marre c’est vrai qu’on me dise d’aller plus vite, de me magner le derrière, de me dépêcher, partout…
DANY : Au début, on hésite toujours un peu, mais finalement, c’est pas mauvais. On en reprend et puis ce n’est même pas la question. La question c’est de se déjanter la cervelle. Alors i faut boire, boire, boire jusqu’à plus se sentir soi. Tu bois tu bois. Tu vas voir c’est vachement chouki. Ca va vite dans le rêve mais t’es au ralenti.
JO : I’m the lezard King, / I can do anything. / I can make the earth stop…/ Is everybody in ? The ceremony is about to begin.
Pierrot le sert et ressert tout le monde…
Puis pose la bouteille sur la table. Dany le regarde avec insistance.

DANY : Eh ! Pierrot ! Tu nous dis de venir [elle prend la bouteille sur la table], qu’on va s’marrer… tu dis que t’as tout c’k’il faut… et puis ça y est rien plus à boire [elle brandit la bouteille quasi vide]. Tu te fiches de nous ou quoi ?
PIERROT : T’inquiète Dany. Je vais aller chercher ce qu’il faut. C’est que ; j’avais pas prévu que Max i poivreauterait autant !
[Tous rient]
PIERROT : pas vrai Max [Max est affalé sur le fauteuil. Il les regarde d’un air imbécile en souriant]
DANY : Eh ! Max ! Redescends ! Reviens avec nous !
JO : C’est qu’il est parti dans les comètes. Il voyage dans les galaxies.
DANY : Ouais, ben lui peut-être, mais moi je me sens à sec les cocos. Alors on fait quoi là ? Max, lui, c’est sûr… il est parti mais moi…
Pierrot et Jo se lèvent, font l’avion en parcourant l’appartement. Ils passent devant Max, le frôlent. Les filles rigolent à chaque fois. Puis à tour de rôle, ils passent devant Max et vont s’encastrer dans la porte qui est sur la scène et reviennent vers Max puis repartent dans l’appartement.
MAX : [Il est pris de hoquets.]
MARIE : Eh ! Max ! Tu vas pas dégueuler sur le canapé. Fais gaffe. Qu’est-ce qu’ils vont dire ses parents ?
[Pierrot et Jo se mettent à tourner en rond en faisant l’avion et les filles les rejoignent. Ils tournent de plus en plus vite autour du canapé en imitant le moteur d’avions. Max a la tête qui tombe sur le ventre.]
PIERROT : [Toujours en tout en tournant] Allez Jo tu viens avec moi on va au ravitaillement quai 90 degré Est 13 degré Sud. L’aéronef est en bas sur le dock du 33 andernosroad…
[Et il file en faisant l’avion, toujours avec Jo derrière lui, hors de la scène.
Les filles font trois tours de canapé et s’arrêtent derrière face au public. Max renverse la tête vers l’arrière et vers l’avant plusieurs fois. Coup de projecteur sur le public puis les lumières s’éteignent.
]

Acte II

MARIE ET DANY. MAX
Les deux filles sont restées seules.

DANY : Où s’k’il est Max ?
MARIE : Ben il est rentré là dedans [elle montre la porte]. Je pense qu’il a assez bu. Il redescend pas le bougre !
DANY : Dans la salle de bain ? Pourquoi ? Il fait la tête ?
MARIE : je sais pas. Peut-être quand même. Les autres ils y sont allés un peu fort !
MARIE : I’ m’a dit, « i sont pas corrects i rient de moi parce que je suis bourré ».
DANY : Il t’a dit ça ?
MARIE : Si je te le dis, comme ça qu’il me l’a dit. Il a ajouté qu’il n’avait pas l’habitude…. Tu aurais vu sa tête… c’est sûr i doit pas souvent picoler le pauvre. Et puis il a dit aussi qu’il aimait pas perdre le contrôle de qui il était : « j’aime pas perdre le contrôle de qui je suis ». Comme ça exactement ce qu’il m’a dit
DANY : Mais comment qu’il a fait pour être saoul ? Il a rien bu.
MARIE : Ben j’sais pas moi. C’est comme ça, il a trop bu
DANY : Ouais ! Eh Be… ! j’crois qu’il sait plus trop où il habite. [elle tape à la porte] Max, tu ouvres s’t’plaît ? [silence] Allez ouvre !
MARIE : Oui ! Quoi ! Allez ouvre ! On a besoin d’aller aux toilettes ! Max tu m’entends ?
[Silence. Les deux filles se regardent]
DANY : Tu sais personne se fiche de toi. Reviens. Pierrot et Jo sont partis chercher du carburant. On va faire la fête.
[On entend derrière la porte Max qui tousse et vomit]

Acte III

PIERROT, MAX, JO, MARIE, DANY. L’INDIVIDU EN BLOUSE BLANCHE
Les filles sont assises sur le canapé.
Max dort dans un coin

JO : Salut les filles !
DANY et MARIE [ensemble] : Salut !
DANY : Enfin ! On va pouvoir s’humidifier le gosier. C’est pas trop tôt. Moi, je commençais à me dire que j’allais rentrer
JO : Allez fais pas la tronche, on… mais où il est Max
[Marie le montre du doigt]
JO : Quelle caisse ! Avec ce qu’il a bu pourtant… Comment il peut être saoul ?
MARIE : Arrête, on a cru qu’il allait vomir sur le canapé et puis après il s’est enfermé dans la salle de bain.
DANY : Il a dégueulé tout ce qu’il a pu !
MARIE : On a eu tout le mal du monde à ce qu’il nous ouvre ! La prochaine fois, évitez de l’amener, qu’on s’amuse tranquille
Pierrot : T’inquiète louloute, on va s’amuser tranquillous. Regarde ce qu’on ramène
[Il exhibe un sac de super marché et remuant on entend des bouteilles qui s’entrechoquent
Concert de bruit de verres, triangle…
]
DANY : Ouais, ben aboule la marchandise parce qu’il fait soif et on s’ennuie. Ça tarde, ça tarde
PIERROT : Pourtant, on a fait vite, hein Jo ?
JO : Sȗr ! Avec son booster, on allait à fond. Avec tout c’k’on avait pris… on était chargé à donf ! À fond qu’il allait le Pierrot ! Oh ! Enkiiiiii ! Ça y’allait les virages, les trottoirs … j’te dis pas ! Quand on est parti de chez Sylviane, on a décollé, j’te dis pas ! C’est dingue. T’aurais vu ça ! Woaouhhh ! Incroyable l’effet que ça peut faire. A fond les manettes qu’il était l’Pierrot. Les lignes blanches sur l’avenue, elles flashaient on se s’rait cru dans une discothèque. Ça fait comme t’hypnotiser, ça te déconnecte comme l’alcool. En même temps, y a quelque chose en toi qui s’agrippe, tu le sens, c’est là au ventre. Tu n’dis rien, mais tu l’sens, c’est là, au creux du ventre c’est lourd, ça s’accroche, tu l’sens ton cœur qui pompe plus fort qu’d’hab’… i pompe, i pompe ça te connecte à la terre… Allo ! Ici terre ! Mais t’es dans la galaxie des merveilles…. les lignes blanches tu les vois plus qu’en continu, en continu que tu les vois… c’est un mur… ça pompe, ça pompe, ta tête elle est lourde comme le creux de ton ventre… ta vie, elle est même plus dans tes mains à toi, un petit geste de trop, une incartade, pas grand-chose, juste un p’tit coup d’guidon de trop [il rote] rien … insoupçonnable…. Tu vois l’genre… un faux mouvement et l’booster i part en live… Soleil en pleine nuit ! et tu crèves, et Pierrot crève…. C’est que… Pierrot, il a la vitesse dans ses mains, il y a ta vie dedans, elle est dans la vitesse de Pierrot ta vie. [silence] Dans ses mains à lui s’il y regardait… faut pas parce que s’non l’booster i s’barrerait sur l’trottoir… là j’te dis pas on s’vianderait grave…. Mais s’il regardait ses mains Pierrot…, il y verrait les lignes blanches en continu [il se tait, bouche ouverte, regard écarquillé Il a l’air effrayé].

INDIVIDU EN BLOUSE BLANCHE :
[une main géante est affichée –on peut faire des agrandissements de mains du Larousse Universel– et l’individu en blouse blanche suit avec une baguette rigide les parties de la main et nomme en montrant. Il a le dos tourné à la salle]
Muscle : court abducteur du pouce – court fléchisseur – base de l’abducteur du petit doigt –
Main apparente : éminence thénar – éminence hypothénar – paume et dans la paume ligne continu
Muscle : Saint lunaire – fléchisseurs des doigts –
Main : pouce – index– medius ou majeur– annulaire – auriculaire
[L’individu en blouse blanche montre maintenant la figure des os de la main]
Métacarpiens – phalanges – phalangènes – phalangettes
[L’individu en blouse blanche se retourne et se met face à la salle.
La scène est dans le noir on ne voit que sa bouche
]
Et sur la main circule le sang des lignes de la vie. On entend la musique que font les osselets au niveau du poignet et une mélodie s’élève des os des doigts, une mélodie douce et lugubre qui traverse légèrement étouffée la chair de la main et les muscles de la main. C’est alors qu’on sent la peau des mains vibrer, comme la membrane tannée d’une enceinte à moins que ce ne soit une surface souple d’un bois qui respirerait les sons du corps. On y discernerait des nervures courbes, brisées par endroit, continues, discontinues et ça pulse
[Là commence alors un chant de percussions, assez doux très terrien avec quelques échappées vocales]
PIERROT : Oh ! Jo ! Jo ! Nom de Dieu ! Jo ! T’atterris ! Te prends pas le chou Jo. On est là, non ? Qu’est-ce que tu dégoises. Elle était pas bien not’ sortie en boost ? T’as pas aimé ? Moi j’sais que sans la picole, on se s’rait pas marré pareil. On y était… c’était l’univers et nous on y était lancé en fusée…
[Concert de triangles et de verres brisés]
MARIE : Ouais ! Eh be ! Le speed voyage en rapid’boost ça lui a retourné le cœur à l’envers à Jo…
[Elle prend Jo par la taille et l’amène sur un fauteuil où il regarde les autres fixement]
DANY : Quel bouffon ce Jo ! ça c’est sûr, parce que retourné à l’endroit il est monté de haut en bas Ah ! Ah ! Ah !
[Marie rit et puis en regardant Jo]
MARIE : J’aime pas Jo que tu nous regardes du fin fond des temps comme ça.
[Marie sort de la scène, les autres la regardent.
Elle revient aussitôt avec un masque grimaçant
qu’elle pose sur le visage de Jo qui reste ainsi jusqu’à la fin de la scène]
PIERROT : Ce que vous êtes nunuches ! Vous inquiétez pas ! Il va revenir notre Jo. [il regarde Max qui dort toujours en gémissant] L’autre, c’est moins sûr. Je pensais pas qu’il allait se biturer ce ouf !
DANY : Bon ben ! Cause pas tant et aboule l’alcool. C’est quoi ?
PIERROT : J’avais planqué ça
[Pierrot aligne sur la table du salon des bouteilles d’alcool et de vin]
DANY : Ah ! Oui ! tu planques ça et tes vieux ils ne s’en aperçoivent pas ?
PIERROT : J’ai plein de caches et puis mes parents, ils me font confiance
MARIE : Ça ils ont raison. Pour nous c’est une bonne chose.
DANY : Moi je risque pas planquer quoi que ce soit. Ma mère elle est toujours en train de ranger ma chambre. Alors elle trouverait tout ce que je pourrais y planquer
PIERROT : T’as qu’à la ranger toi-même
DANY : Parce que toi tu la ranges peut-être ta chambre ?
PIERROT : Non mais je veux pas qu’on y entre. C’est mon espace privé !
MARIE : Ta réserve.
[Tous les trois rient
En même temps Dany se rapproche de la table du salon et inspecte les bouteilles.
Elle en prend une. L’ouvre et en boit une gorgée à même le goulot et la passe à Pierrot qui en boit une longue gorgée puis il la passe à Marie qui se dirige vers Jo affublé du masque
]
MARIE : Allez Jo, un dernier cul sec
[Et elle met le goulot de la bouteille à la bouche de Jo, la soulève]
PIERROT : À la bonne heure, mon gars ! C’est rien que ça qu’on attendait. Tu es revenu parmi nous. À la tienne, à la nôtre !
[Pierrot distribue les bouteilles, une à Dany, une qu’il pose à la tête de Max qui se relève et la prend, une qu’il boit lui-même et une qu’il offre à Marie qui elle-même continue de faire boire Jo]

PIERROT, MAX, JO, MARIE, DANY : [En chœur], Ensemble avec nos Adoris nous rayonnons d’une lumière qui transfigure la lumière même. C’est désormais et pour toujours une image : nous cinq, Dany, Marie, Jo, Max, Pierrot, emportés par une chrysalide d’Ivreronde, vaisseau des espaces inconnus.
MARIE : Nous tournoyons pourtant. Notre voyage n’a rien que de trop banal, pourquoi chercher à tournoyer ? Et toi spectateur tu dis quoi ?
MAX : moi, je dis le tournis de trop faire comme les autres, le tournis cette image de la toupie qui creuse un trou dans mon crâne avec une vrille
PIERROT : moi je vois celle de la fusée à jamais assez loin emportée, assez loin transportant ses passagers à destination du point où s’enfoncent des pensées lourdes du non retour
DANY : jusqu’au point de la défonce qui ferme toujours sa voûte d’entrée de verres trop opaques. Parce qu’il n’y aura pas plus de trous dans votre crâne que de trous dans l’univers !
JO : La chrysalide d’Ivreronde part toujours pour la promesse du soleil et toujours les passagers en sont privés car Ivreronde rate Mars et Vénus et se dirige inexorablement droit sur l’astre. Embarqués sur Ivreronde pour l’expédition de l’ultime explosion, vers des espaces sans pays dépourvus de rivage…

FIN


Texte : Philipe Geneste - adaptée par la classe (2011).
Clins d’œil plus que sources :
François Archambault, Cul sec, Montréal, éditions Lemeac, 1996, 83 p. ; Harry Martinson, Aniara. Une Odyssée de l’espace, traduit du suédois par Philippe Bouquet et Björn Larsson, préface de l’auteur, postface « un hymne à la vie sur terre » par Ylva Lindberg & Samuel Autexier, Marseille, Agone, 2004, 157 p. ; Jim Morrison The celebration of the lizard, dans The Doors I’m waiting for the sun, Elektra records, 1968 ; Haruki Murakami, La Fin des temps, traduit du japonais par Corinne Atlan et préfacé par Alain Jouffroy, Paris, Seuil, collection Points, 2001 (1ère éd. Japonaise 1985), 628 p.